Bonjour Amour,
Je vous présente la dernière saison des petites histoires de bonheur que j’ai intitulé The Pier Ave Collection. Le premier épisode a été écrit d’une traite ce matin et j’espère que les mots de Satara résonneront.
Belle lecture à vous et au plaisir.
Satara
Main dans la main, je t’ai emmené au parc ce matin.
J’avais besoin de voir autre chose. Je voulais changer de perspective et saisir tout ce que la vie, autour de nous, dépose. Ce parc, nous n’y étions encore jamais allés, bien que nous soyons installés depuis trois semaines déjà, dans mon coin préféré de Santa Monica.
Des chiens, des poussettes et un sans-abri croisent notre chemin jusqu’au playground, le terrain de jeu. Nous y entrons et, devant nous, la lumière jaillit entre les branches d’un arbre majestueux. Nous pénétrons dans son domaine. Il protège les enfants et les êtres vivants qui l’aiment et le côtoient. Je m’assois et le contemple.
Tu cours vers le toboggan lorsqu’une bogue roule jusqu’à toi. Ronde, hérissée de piquants, elle est encore trop fraîche pour s’ouvrir et révéler les fruits qu’elle renferme. Tandis que tu l’observes, l’écureuil qui l’a fait tomber bondit d’une branche, descend jusqu’au sol pour l’inspecter, puis lève ses yeux vers toi. Tu lui souris. Il file alors sous le dôme métallique que les enfants adorent escalader.
La porte du parc s’ouvre, et mon attention est happée par une silhouette.
Un foulard de soie rose couvre une coiffe bombée de cheveux noirs, dont quelques boucles s’échappent comme pour protéger davantage encore son visage. Son maquillage évoque les années 60 : un large trait d’eye-liner noir, une terracotta très orangée et un rouge à lèvres rose poudré. Satara me salue. Elle réajuste le perfecto qu’elle porte nonchalamment, glissé juste sous ses épaules, dévoilant une brassière rose, sa gorge et le haut de son ventre orné de traits dorés. Dans ses mains, une paire de gants d’hiver, rose clair, qu’elle enlève et remet comme pour se cacher un peu plus. Je baisse instinctivement le regard après lui avoir adressé un geste de la tête chaleureux mais réservé. Ses longues chaussettes rayées et ses baskets disparaissent sous une jupe superposée faite de haillons.
Elle m’intrigue.
Mon esprit s’agite : dort-elle dans la rue ? Porte-t-elle une perruque ? Pourquoi cherche-t-elle à dissimuler ses mains ? Pourquoi je trouve que ses mains ne sont pas aussi féminine que le reste de son corps ? Est-elle dangereuse ? Son parfum, capiteux et résolument féminin, flottait dans l’air, laissant derrière elle une impression d’élégance qui contrastait avec ses habits en désordre.
Après avoir glissé sur le toboggan, tu l’observes grimper au sommet du dôme avec l’aisance d’une danseuse qu’elle a sans doute été une grande partie de sa vie. Ravie, elle se met à danser, assise, féline, sensuelle, ondulant au rythme de la brise. J’y reconnais l’élan du yoga et une énergie spirituelle.
Toi, mon enfant, après l’avoir observée plus avec ton cœur qu’avec tes yeux, tu t’installes dans le jeu voisin. Posant ton regard sur moi, comme pour demander la permission, tu engages la conversation. J’écoute discrètement.
Satara complimente la portée de ton prénom.
Nous apprenons qu’elle fut maîtresse d’école en maternelle, qu’elle a un fils de 34 ans, et qu’après un grave accident, alors que les médecins affirmaient qu’elle ne marcherait plus jamais, elle a retrouvé le chemin de la lumière. Son accent est soigné, son vocabulaire châtié.
Elle t’encourage à jouer chaque jour et, soudain, baissant la voix comme pour livrer une confidence, te confie la mission de veiller sur ta maman. Elle insiste en chuchotant de ne pas la laisser trop seule, ni de trop t’en éloigner. Avec mes oreilles de loup-garou, j’entends tout. Ma vigilance s’apaise : mon instinct me souffle qu’elle ne cherche qu’à laisser vivre son cœur d’enfant.
Elle se rapproche de moi.
Tu viens alors t’asseoir à mes côtés, comme pour me présenter ta nouvelle amie. Se couvrant le visage de son foulard, pour dissimuler ce qu’elle ne supporte pas de montrer, Satara nous rappelle que nous sommes éternels et que notre corps, bien qu’humain, est un temple divin. D’une voix douce, elle m’avertit que Los Angeles n’est plus la ville qu’elle a connue, bien qu’elle demeure pleine de merveilles. Mais les pièges y sont nombreux, dit-elle, et l’on peut vite glisser vers les ténèbres. Avec toute la douceur qu’elle trouve en elle, elle nous exhorte à rester unis. Tant de mystères entourent ses paroles… Et pourtant, j’entrevois en elle le parent aimant et blessé.
Les évocations de souvenirs familiaux que mon prénom réveille la font voyager un instant dans le temps. Elle se perd, se reprend, puis nous remercie de notre attention. Elle me demande si nous allons bientôt nous installer ici. Je ne peux lui répondre. Alors, avant de disparaître, elle laisse tomber une phrase qui donne tout son sens à notre rencontre :
« Home is where the Om is.* »
Quand elle s’éloigne, tu ne souhaites plus rester au parc. Mais tu es heureux de cette rencontre. Celle dont tu as déjà oublié le nom t’a beaucoup plu. Tu m’expliques qu’elle est comme toi et que vous avez tant en commun. Puis tu me prends la main, et nous reprenons ensemble le chemin de la maison, et de la journée qui nous attend.
*”Ton coeur est là où tu trouves la Lumière“.