A tous ceux qui portent dans leurs cœurs les mamies et papis de ce monde, qu’ils vivent tout proche ou dans vos souvenirs heureux.
Attention : si tu préfères écouter, la version audio se trouve au bas de la page.
Au Revoir Papi
« Papi, mais que fais-tu là ?
-Ah ma petite fille adorée ! J’attends ta grand-mère voyons !
-Mamie ? Tu es sûre que tout va bien ?
-Je vais très bien chérie. Mamie a une surprise pour moi. Elle m’a dit de préparer les beignets en attendant. Elle les aime bien grillé avec l’œuf au milieu tu sais comme ton papa. Frère Jacques, Frère Jacques, dormez-vous ? Sonnez les… »
Il chantonnait si naturellement et son sourire brillait. Il ne portait plus son dentier. Il avait retrouvé sa carrure et se tenait bien droit. Papi était tout beau, bien coiffé, habillé de sa jolie djellaba grise avec des broderies simples autour du col et de la poche. Je le voyais se dandiner tout content, les yeux brillants comme un enfant à qui on eut promis un somptueux cadeau.
L’odeur de son eau de Cologne envahissait doucement mon système nasal. Du Roger Gallet eau de figuier, je la reconnus facilement. C’était sa préférée. Moi qui détestais habituellement ce parfum, il me réchauffa le cœur en le pinçant un peu à droite à gauche.
Il y avait tant de lumière autour de nous.
Une lumière intense et apaisante. Je pris le temps un instant de regarder où nous nous trouvions. Nous n’étions pas à la maison mais en extérieur, au bord de l’eau. Le sable blanc étincelait. J’avais l’impression de marcher dans le vide. Mes pieds touchaient à peine les grains. En face de moi, en arrière-plan, je vis la mer.
C’était une mer d’été. A la pointe de jour, elle se dessinait légère. Un vert émeraude tranquille et sage dans lequel les bancs de petits poissons brassaient librement. Il n’y avait pas de vagues ou si peu. Et celles que j’aperçus dansèrent jusqu’au sable sans faire de bruit. Je n’entendais que le son de la lumière puissante comme la vie qui éclairait mes yeux. La scène semblait sortie d’un livre. Le soleil était-il déjà si haut perché dans le ciel ? pensai-je sans vraiment attendre de réponse logique.
Je reculai encore d’un pas pour observer et tenter de comprendre. Au fond, la plage était splendide et encore endormie alors que le jour semblait si clair et éblouissant. Autre chose étrange, je n’avais pas chaud. J’avais même la peau fraiche.
Le bruit des bulles dans l’huile brulante attira mon attention.
Mon grand-père s’affairait maintenant à préparer les beignets du petit-déjeuner devant un petit stand métallique que je n’avais remarqué plus tôt. L’impression de déjà-vu s’immisça dans mes pensées.
« J’ai laissé sur ma table de chevet le livre de prière que j’utilisais pour te chanter Had Gadya. Tu sais ma fille, la chanson de l’agneau avec le chien, le chat, le bâton, l’eau et le feu.
-Oui papi je sais bien. Je la chante avec toi à chaque Pessah. Pourquoi me dis-tu cela maintenant ?
-Tu trouveras la photo de ton fils de dedans. Je le connais bien peu mais je l’aime tellement. Le livre est pour toi. Tu le lui donneras lorsqu’il sera en âge de chanter nos chansons et avec notre air bien sûr. »
La seule réponse que j’eus fut de rester silencieuse un moment. Loin d’être dans mes habitudes, je me retrouvai ébétée par cette annonce que mon inconscient me jetait et que ma conscience rejetait.
« Tu te rappelles les lettres de Camus ? Celles que je t’avais montrées petite ? Tu les trouveras dans le tiroir de mon ancien bureau. Il est fermé mais la clef est quelque part par-là, dans une boite, tout près de ma collection de petits animaux en bois. Cela te sera utile pour ton prochain livre.
-Mais papi, pourquoi me dis-tu tout cela là ? Je ne comprends même pas ce que nous faisons ici pour commencer. Mamie est partie depuis longtemps. Tu es sûr que c’est bien elle que tu attends ? »
Cette fois, la seule réponse que j’eus, fut son regard posé sur moi, rassuré et rassurant, plein de compassion et d’excitation.
Subitement, il tourna la tête vers la droite.
Je suivis son geste. Sa concentration semblait maximale. J’eus l’impression qu’une force immense l’appelait. Je ne voyais rien d’autre que l’étendue de plage idyllique. Lui, restait figé sur le lointain.
Alors que je trouvais la situation de plus en plus étrange, je réalisai que je n’avais jamais été jusqu’à l’eau avec mon grand-père auparavant. Insulaire, il n’appréciait pas la mer en tout cas pas depuis ma naissance, ni à ma connaissance. Nous n’avions encore jamais marché ou parlé, nos pieds baignant dans le sable. Enfant, je lui avais certainement proposé de m’accompagner à la mer plusieurs fois. La réponse avait dû être fermement négative pour que j’inscrive que papi et la plage ne pouvaient faire bon ménage.
J’entendis d’abord des pas.
Des pas doux, féminins et très élégants. Au bout de mes yeux, loin tout là-bas dans l’horizon, où mon grand-père avait plongé ses yeux, se dessina une tornade de sable. Plus mystérieuse qu’effrayante, elle m’hypnotisait lentement. Je sentais ma gorge se relaxait comme si j’allais crier ou hurler de joie. De mon cœur sortaient mille papillons colorés de tons bleu nuit, rose, bleu pâle et vert anis.
Des pieds apparurent au bas de la tornade. Ils avançaient en rythme, confiants et droits. Des pieds de femmes aux ongles colorés de rouge. Puis des jambes se révélèrent plus rapidement. Aux genoux apparut un tissu élégant, légèrement bariolé d’un bleu sombre. La robe sortit doucement comme on découvre la tenue de mariée d’un défilé Haute Couture. Elle était cousue main. J’admirais le travail raffiné et parfaitement soigné sur la grande dame qui la portait. Je savais déjà qui j’allais revoir sans pouvoir vraiment y croire.
Son visage apparut enfin.
Sa chevelure longue et puissante l’habillait telle une parure de diamants noirs. Son regard profond m’attendait. Ses yeux étaient dessinés au khôl comme à son habitude. Sa bouche petite, fine et droite pourtant fermée semblait me fredonner la comptine de mes années d’enfance, la favorite de mon fils aujourd’hui. Sur le haut de sa tête, trônait un joli foulard de soie. Joyeusement coloré, il accessoirisait chaleureusement son allure. Il paraissait identique à celui que je gardais précieusement emballé dans l’armoire de mon ancienne chambre chez mes parents. Des tons de bleus en dégradé comme un ciel qui raconte une vie douce et passée.
Lorsque tout son être apparut, la tornade éclata derrière elle et la plage reprit son calme immobile. Je cueillis chaque minute de douceur comme une immensité d’un bonheur mystérieux.
Elle s’approcha de papi. Leurs regards se touchèrent. Un million de messages s’envolèrent vers le ciel. Des excuses, de l’amour, une étreinte invisible et une entente immuable. Papi lui tendit un beignet bien trop cuit avec un œuf tatoué au milieu. Le bruit mélodique des bracelets de madame lorsque de sa main elle saisit le beignet raviva mes moments d’enfance perdus. Elle prit une serviette sur le comptoir et servit à son tour à mon grand-père d’un beignet qu’elle trempa dans le sucre.
Un instant de vie extraordinaire, comme une peinture que j’aurais aimé regarder toutes les nuits avant de m’endormir.
Bonjour ma petite fille
« Bonjour ma petite fille, s’exclama-t-elle d’une voix douce et claire,
-Bonjour mamie.
–Tu me manques. Comme tu es belle !
–Tu me manques aussi beaucoup.
– Tu reconnais cet endroit n’est-ce pas ?
–Oui à présent. C’est là où nous nous trouvions avant que tu t’en ailles vers de nouvelles aventures. Je suis revenue tellement de nuits te chercher ici après ton départ.
-Tu sais alors pourquoi je suis ici. »
Elle n’attendit pas ma réponse et me sourit avec tellement d’amour avant de tendre sa main libre à papi qui s’en saisit gaiment. Il me sourit à son tour et ajouta : « Prends des beignets, j’en ai fait pour ton fils. Il les aimera comme je mange les miens. A bientôt. »
Un beignet à la main, et main dans la main, ils marchèrent longeant la plage vers l’horizon. Je les suivis du regard en les écoutant rire. Quelques bribes de leurs échanges voyagèrent vers moi « …Pourquoi pas… c’est un scandale… c’est la vie, quand on est mort c’est fini ! » Mon grand-père draguait manifestement la belle dame à son bras.
Leurs images s’effacèrent lentement devant moi.
Je me retournai pour partir lorsque je me souvins de la proposition de mon grand-père. Je saisis 2 beignets dont un que je trempais beaucoup dans le sucre. Je les entourai de papier aluminium et de serviettes et m’en allai lentement vers la lumière.
« Mon petit oiseau… Mon petit oiseau a pris sa volée…sur un oranger… se marier…. Maman ! Chante encore ma chanson ! Maman, lève-toi ! Allez, c’est le matin ! Maman, on va à la plage ce matin ? »
Une voix d’enfant hurlait sur moi et je sursautai lorsqu’un petit doigt entra dans mon oreille comme pour s’assurer qu’elle était ouverte et à l’écoute.
« Où suis-je », pensai-je un court instant ? Soudain, un coup sur le nez suivi d’un énorme câlin avec des bisous à la tétine me ramenèrent rapidement au moment présent. 6h45 du matin. Mon fils venait me réveiller. Et il quémandait déjà son petit déjeuner. Chouette !
Je le pris dans mes bras.
Ensemble nous allâmes aux toilettes. Après s’être lavé les mains et le visage, mon enfant fila dans la salle à manger m’attendre à table comme à son habitude. Je m’étirai dans la cuisine avant de chercher dans le réfrigérateur un kiwi et de la confiture d’abricot. Je trouvai mon fils bien silencieux et patient pendant que je préparai les toasts et coupai le kiwi. Il devait peut-être sommeiller encore un peu.
Quelques minutes plus tard, fin prête, j’apportai les assiettes dans la pièce principale. En posant les yeux sur mon garçon, je compris les raisons pourtant inexplicables de son silence.
« Maman, merci pour les beignets. Ils sont encore chauds mais pas trop, juste comme je les aime. Je préfère avec le sucre, beaucoup de sucre. »