“Donne-toi le temps de vivre le bon comme le moins bon. Ce dernier est là pour que tu touches le bonheur du doigt.”
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Accorde-toi le temps d’être toi.
« Merci maman. C’est gentil de m’appeler.
Mais ne t’inquiète pas, ça va. » Jonas avait déjà hâte de raccrocher. Ce n’était pas le bon moment pour parler à sa mère. En ce moment ce n’était d’ailleurs jamais le bon.
-Je sais que tu veux raccrocher mais viens me voir ce soir s’il te plait. Il est temps que je te donne quelque chose. Je t’embrasse mon trésor des Caraibes. A ce soir… BIP BIP BIP »
Theresa avait déjà raccroché. Elle savait tellement bien comment le coincer sans qu’il n’ait ni choix possible, ni mot à rétorquer.
L’adoration que Jonas portait à sa maman balaya en quelques dixièmes de seconde la frustration et l’énervement de se sentir infantilisé. Oui, il avait parfois envie de lui tordre le cou comme tous les enfants avec leurs parents et réciproquement.
Mais ils formaient une équipe. Dès l’âge de 2 ans, Jonas, précoce de la parole, répétait fièrement “maman et moi, on est une équipe” comme le meilleur des slogans. Trente plus tard, ses grands-parents ravivaient encore ce souvenir d’enfant lorsqu’il venait les voir à Paris.
Theresa et lui avaient traversé la vie à deux.
Il n’avait manqué de rien. Elle lui avait offert une vie d’amour, de découverte, de confort. Elle était son super héros. Il avait grandi en voyant sa maman aider tellement de gens. De ses romans, recueils de poèmes et petites nouvelles, elle soignait les coeurs en apportant de l’amour et des conseils justes et avisés.
Elle disait que l’écriture et la musique lui permettaient de transcender. Les mots vibraient sous ses doigts habiles. Et, comme ensorcelés d’énergie positive, ils pansaient les blessures, ouvraient les chakras, animaient les rires et les rêves oubliés.
Theresa aimait la lumière le temps d’une pleine lune.
Elle n’était pas de ceux qui pouvaient quitter leur anonymat. Elle aimait bien trop sa liberté nomade presque bohême. Sa volonté était que chacun trouve son interrupteur et brille. Elle refusait poliment de faire des photos avec ses fans en leur expliquant que ça la mettait mal à l’aise. Elle leur proposait à la place un café, une balade, un moment unique de vie, de vraie vie dans le partage sans téléphone, caméra ou autre alternative pour se désinscrire du présent.
A la maison, rien que tous les deux, le programme était simple et des plus répétitifs : fous rires, jeux de voitures, peinture, dessin de camions, bagarres et câlins d’hélicoptère. Jonas était obsédé par les automobiles et tout ce qui servait à se déplacer. C’était beau à observer. Le temps était doux et soyeux. Jonas avait vu pleuré Theresa quelques fois. Elle lui répétait dans ces moments rares que c’était normal de pleurer et qu’il ne fallait pas en avoir honte. Si l’on tombait c’était pour apprendre à se relever, et Theresa toujours se relèverait.
Bon ben, ce soir ce sera passage obligé chez maman, pensa Jonas.
Qu’allait-il lui dire ? Comment être fort alors qu’il était encore perdant, que tout autour de lui s’écroulait. Il ne savait pas comment il allait prendre soin de sa petite famille sur le long terme. Charlie, sa fille, avait à peine 2 ans. Elle était tout son monde, son oxygène, sa raison de sourire et de croire en la vie. Aujourd’hui et depuis quelques mois, il se sentait coincé et honteux. Le sentiment d’échec lui serrait la gorge et sa peur lui vidait le ventre pour n’y placer que des nœuds et des maux. Il avait l’impression de ne plus avoir d’air pour respirer.
Jonas venait de perdre son travail.
Un travail qu’il n’aimait pas particulièrement au début et qu’il avait fini par détester sur la fin. Il n’y trouvait aucun sens. Il ne se sentait pas utile et pas à sa place mais un peu comme tout le monde se disait-il.
Il prit son téléphone, deux clics pour ouvrir WhatsApp et envoyer un message d’annulation. Il viendrait fin de semaine ou le weekend prochain. « Mon ange, j’ai préparé les pâtes que tu adores avec la tomate fraiche et sans ail, et la salade avec beaucoup d’avocat et de concombre. Peux-tu passer prendre une baguette de pain complet à la Brioche comme cela j’en aurai aussi pour demain. Tu m’aides beaucoup mon cœur. Merci. Maman »
Theresa était voyante par-dessus le marché ! Il n’était même plus surpris. Un sourire dans le coin, content d’avoir perdu la bataille, il fila sous la douche, enfila un tee-shirt et grimpa sur sa moto direction la Brioche.
« Entre mon fils.
Viens me faire un bisou, je mélange les pâtes. Elles sont Al dente ! »
Theresa cria ses mots alors que Jonas s’apprêtait tout juste à tourner la poignée pour entrer.
Un parent sent la présence de son enfant à un mètre comme à des centaines de milliers. Jonas le savait à présent. Il aurait voulu amener Charlie avec lui chez sa Nana. Cela aurait surement éviter le tête-à-tête sérieux qu’il s’apprêtait à vivre. Cependant, elle était avec Karen, son ex-compagne jusqu’à demain soir. Theresa avait aisément déjoué tous ses plans et il l’avait laissé faire. Il espérait secrètement être sauvé sans vraiment y croire consciemment.
A table, le repas fut calme et léger.
La maman écrivaine adorait préparer les plats préférés de son fils. Elle n’était pas un cordon bleu ni une maman de maison qui passait son temps à pâtisser. La cuisine se devait d’être simple, gourmande et équilibrée. Elle n’accordait aucun intérêt aux plats qui nécessitait plus de 10 ingrédients ou épices, des tonnes d’huile, du beurre ou plus de 30 minutes de préparation de sa part. “Pourquoi faire ?” répétait-elle.
Elle excellait en revanche dans ce qu’elle aimait concocter. Les pâtes étaient au cœur de son art culinaire. Jonas les adorait depuis petit.
Theresa raconta quelques histoires drôles à son fils.
Jonas, plus détendu qu’il ne le pensait, se délecta du repas et de toutes les surprises qu’elle avait préparée pour lui. Un saumon au four mariné à la sauce Teriyaki entre autres avec des câpres et de l’huile d’olive d’Italie. En dessert, des glaces sous la forme de palettas 100% fruits à la coco et à la mangue faites maison. Et puis, des Kinder, des boules Lindt et des After Eight quasi impossible à trouver ici mais pas pour sa maman super-héros.
A la fin du repas, Jonas s’apprêta à battre en retraite repu et soulagé d’avoir évité le « big talk ». Il se leva de sa chaise et pris dans ses bras le sac contenant les livres et les chocolats en cadeau pour Charlie.
« Maman, merci pour le repas.
C’était un délice comme toujours.
-Chéri, assieds-toi. Je t’apporte une dernière chose et puis tu rentres. Cela ne prendra pas longtemps, je te le promets. » ordonna Theresa.
Theresa 3 – Jonas 0 – Pourquoi retenter à chaque fois ?
Il sentit son cœur s’accélérer et son estomac se serrer. Sa peur l’avait laissé tranquille le temps du repas. Il n’avait plus de job, plus de rentrées financières. Il n’avait rien fait d’exceptionnel lui. Il gagnait sa vie normalement, dans une vie normale à faire des choses normales. Il pensait comme cela mettre à l’abri sa famille. Il s’était convaincu que la vie d’adulte c’était être dans cette normalité, petite et vraiment très normale.
Theresa le rejoignit au salon avec une valisette.
Jonas ne la reconnaissais pas. Il n’imaginait pas que sa mère pouvait posséder ce genre de bagage d’un ancien temps. En cuir marron, un marron wengé usé par le temps. La valise affichait des rayures et plissures sur son cuir épais comme des tatouages racontant ses voyages. Deux boucles ardillons entouraient l’anse principale. Celle-ci chantonnait d’un vieux bruit de métal creux à chaque fois que la valise bougeait et que les anneaux de fer poreux tapaient entre eux.
Theresa posa la valisette sur une serviette qu’elle avait apporté pour recouvrir la table du salon. Depuis le Covid, elle avait atteint le stade 4 de la « cleaning freak »… Puis elle attira son attention sur la valise en tapant dessus. L’heure était si sérieuse que le temps avait ralenti comme pour se figer. Jonas était prêt.
« Tu n’as jamais vu cette petite valise avant, je me trompe ?
-Non en effet. C’etait à..
-Non mon cœur. La valise appartenait à tes arrière-grands-parents. Pipo et Mamie Daisy. Tu n’y trouveras rien qui leur appartiennent dedans. Je l’ai gardé comme un de mes plus beaux souvenirs de jeunesse mais cette histoire est pour un autre jour. Allons droit au but si tu veux bien. »
Theresa défit chaque boucle ardillon en tirant bien fort dessus avec le plus grand soin. Elle respira profondément et avala la boule d’émotions qui s’était formée dans sa gorge. Le moment était important pour elle aussi. Elle l’avait attendu. Elle ouvrit cette capsule de temps. Jonas vit passer des centaines de moments passés dans les yeux de sa maman. Il attendit qu’elle soit prête à poser des yeux humides sur lui.
« Jonas, te rappelles-tu ce que je faisais avant d’écrire ? »
La question le surprit énormément. Il n’eut pas de réponse à lui offrir.
Alors Theresa commença à se libérer : « La réussite n’est qu’une suite d’échecs disait Churchill et je ne peux qu’être d’accord. Tu vois ces cahiers posés dans la valise. Ce sont les carnets de mes peurs.
-Quel rapport avec moi maman ? Je n’ai pas peur ne t’inquiète pas », mentit Jonas.
«Amour, je sais que tu ne vois de moi aujourd’hui qu’une personne forte et accomplie. Et si je suis ravie que tu sois fière de moi, je me rends compte aussi que j’ai failli à ma mission. Celle de te montrer que tomber est normal et que plus on tombe plus fort on se relève.
Je dois te demander pardon.
J’ai voulu te protéger et te montrer que les rêves les plus fous sont atteignables. Mais dans ma course effrénée, j’ai mis de côté le plus important, le chemin. Je souhaiterais à présent si tu as cinq minutes te raconter que toute grande histoire nait de la vulnérabilité et de l’échec.
Avant d’écrire et de trouver ma voie, je travaillais dans l’architecture. J’avais même monté un cabinet et affichait fièrement mon statut d’entrepreneur. C’était la voie royale. J’avais pris des risques qui payaient. Je ne vibrais pas au fond de moi mais je signais beaucoup de contrats. Je courrais les missions, je donnais des interviews et des conférences. Je travaillais tous les jours, dimanches et vacances inclus. Je gagnais mes sous plus correctement que la majorité des personnes de mon âge que je connaissais. J’étais dans la comparaison, dans la rassurance et j’espérais pouvoir un jour me reposer et vivre heureuse. Le temps a passé et l’étau s’est resserré. Je voulais faire autre chose mais j’étais déjà lancée. Je me sentais bloquée.
Lorsque tu es arrivé dans ma vie,
tu as bercé mon présent de joie. J’essayais de me faire une raison et d’accepter de ne pas être épanouie dans mon travail. Après tout, la majorité des gens n’aimaient pas le leur. Je savais que je t’élèverai seule et j’allais tout faire pour tenir debout sans tomber. C’était sans compter les projets du destin.
Lors de la crise financière de 2008, j’ai perdu la majorité de mes clients. Et je n’étais pas bonne gestionnaire. Je me suis retrouvée à terre, sans force ni volonté de tout reconstruire. Je détestais depuis longtemps cette carrière et même si je me sentais responsable de toi et que j’avais des factures à payer, j’avais décidé de laisser le bateau couler. Je ne dormais plus la nuit. Je voyais mon échec. Je croyais ne plus savoir faire et gagner de l’argent. J’avais perdu confiance en moi.
Je me rappelle du jour où j’ai mis à terre mes peurs pour choisir de croire en moi et en la vie. Tu avais 2 ans et 9 mois précisément et tu m’as dit : « maman toi tu es Batman et moi je suis Spiderman. On est des super-héros. Tu es mon super-héros, maman. »
Ces livres que tu vois,
j’ai fini de les écrire le jour où j’ai fermé le cabinet, quelques semaines plus tard. J’ai compris que sauter dans le vide serait le seul remède. Faire ce que j’aimais. Mais tu vois, je ne savais pas ou plus quels étaient mes rêves. Il m’a fallu le temps de les retrouver, de me tromper, de pleurer, de réessayer, de vendre la voiture, de partir nous installer en campagne. J’ai fini par me détendre lorsque j’ai compris que je saurais subvenir à nos besoins quoiqu’il arrive.
J’ai donné des cours de français principalement. Nous avons vécu plus modestement pendant un temps. J’ai pris le temps d’écrire. Le matin après t’avoir accompagné à l’école et la nuit après t’avoir mis au lit, ces temps étaient dédiés à ma machine à écrire. J’étais assidue et je taisais la petite voix aigrie et sournoise qui me demandait pour qui je me prenais.
Mon premier roman
a été refusé officiellement par 28 maisons d’édition. Et j’en avais contacté plus de 50 !
Pour le second roman, j’ai d’abord contacté un journal très connu de l’époque pour en publier un chapitre gratuitement sur son site. Cela a pris 3 mois. J’ai signé par la suite mon premier contrat. Et ma carrière s’est envolée. Le premier roman est sorti la même année en fin de compte et j’avais des commandes pour les suivants. Tu avais 4 ans et comme tu étais beau et adorable. Sache que j’avais dû continuer ainsi encore 4 ans je l’aurais fait crois-moi.
2 ans plus tard, lorsque nous avons emménagé au Canada. Il a fallu tout déménager et je n’ai pu me résoudre à jeter ces cahiers où sommeillent mes terreurs finalement infondées. Je les ai mises dans cette valisette au cas où le jour viendrait. Ces cahiers sont à toi. Tu es libre de les lire, les bruler ou ce qu’il te plaira. Mais amour plus que l’objet comprend le sens qui s’en dégage.
Aujourd’hui je te propose de parquer tes peurs ici dans cette valise
à côté des miennes, lorsque tu seras prêt bien sûr. Il est temps de te réaliser tel que tu le souhaites. Pas petitement. Pas normalement. Pas responsablement. Mais humainement. A ta façon être heureux. Accorde-toi le temps d’être toi. »
Les larmes qui tombaient sur la table de ses yeux, Jonas ne les avait sentis montées. Lui qui avait toujours vu sa maman comme une immensité de talent, une statue indestructible voyait enfin la faille. Elle était là depuis toujours. Il ne savait juste pas que cela s’appelait la vulnérabilité.
« Maman, tu t’associerais avec ton fils s’il décidait d’ouvrir un garage automobile spécialisé dans les voitures et camionnettes de collection ? »