Cheveux d’ange

Les gouttes salées

suspendues aux pointes de sa chevelure dessinaient un arc-en-ciel de paillettes. Les reflets du soleil révélaient la majesté de celle qui les portait. Les larmes de la mer ne tombaient jamais au sol : elles s’envolaient dans les airs comme mes sentiments pour Isabella.

J’ai 7 ans.

Et tout ce que je veux, c’est jouer avec mon amie aux longs cheveux. Ils ressemblent à ses yeux espiègles : noirs, brillants, à la fois élégants et malicieux. Isabella ne parle jamais beaucoup au début. Elle observe, elle écoute. C’est ainsi à chaque playdate. Comme si nous nous rencontrions pour la première fois. Au début, ça me déstabilisait. Mais maintenant que je la connais mieux, je comprends ce qu’elle veut dire rien qu’en la regardant. À la façon dont sa tête penche, à la manière dont ses cheveux — en nattes ou libres — ondulent, je sais déjà si le jeu commence bien.

Elle a des cheveux qui parlent.

Je l’ai dit à maman. Elle n’a ni ri, ni nié. Elle m’a seulement regardée avec ce qu’elle appelle de l’admiration, puis elle m’a souri, validant mon intuition. Elle sait que j’ai des pouvoirs magiques, que je lis dans les cœurs et dans les âmes. Je crois qu’Isabella le sait aussi.

Dès que son rire éclate,

je comprends que nous entrons dans la deuxième phase de notre rencontre. Alors nous courons, nous nous chamaillons gentiment avant de lancer notre cache-cache habituel. Isabella ne parle pas encore beaucoup, mais qu’est-ce qu’elle sait bien se cacher ! Je pars à sa recherche et, en suivant le silence, j’ai parfois la chance de la débusquer. Elle est contente.

Alors, j’ai gagné le droit à une vraie conversation d’enfant.

Ses cheveux frétillent de partout

quand elle commence à me raconter une histoire qui fait peur. Avec elle, je ne fais pas comme avec maman : je ne l’interromps pas. Sinon, elle se refermerait comme une huître. Et la récompense est là : son flot de paroles fuse, plus rapide encore que l’odeur de mes pets quand je m’assois à côté de maman pour la taquiner, laissant dans l’air une surprise puante avant de m’enfuir en courant. Je n’ai pas encore osé essayer ça avec Isabella.

À ce moment-là, les deux pipelettes que nous sommes s’élancent dans une joute : qui racontera l’histoire la plus effrayante ? Qui sortira la blague la plus drôle ? Au loin, nos mamans et la tata d’Isabella rient de nous, leurs yeux de merlans frits rivés sur leurs téléphones. Et hop, ça prend des vidéos, ça demande des sourires. Pas de chance : devant l’objectif, j’ai plus de trous que de dents. La petite souris, la tooth fairy, a dû vendre trois châteaux et vider toutes ses économies, tant j’ai perdu de dents d’un coup.

Les mamans décrètent que le goûter est digéré : nous pouvons enfin aller nous baigner.

Les vagues nous attendent.

Mais Isabella ne sait pas nager. Alors je reste avec elle, au bord, lançant ses poupées dans l’océan, espérant les revoir revenir vers nous.

Heureux sont ses cheveux d’ange, flottant dans l’eau, quand nous rions à tue-tête.